La mondialisation n’est pas une création nouvelle
1960-1970 : les débuts de la mondialisation
De nouveaux échanges internationaux
Dans les années 1960, les pays occidentaux observent l’importation de textiles en provenance des pays en voie de développement, notamment l’Inde et l’organisation du Commonwealth. Des accords bilatéraux sont instaurés, sur le coton par exemple, droits de douane et quotas, de façon à protéger et garantir l’activité des industries textiles des pays industrialisés.
Ces mesures protectionnistes poussent les pays en développement à diversifier leur activité au sein de la filière. Premièrement ils élargissent la gamme de fibres textiles, puis spécialisent leurs activités sur les postes à forte teneur en main-d’œuvre comme par exemple la confection. On voit alors apparaître de nouveaux acteurs industriels soutenus par leur pays : ils offrent des produits textiles en affirmant leur position industrielle en matière de confection. C’est le début du règne des pays du Sud-Est asiatique, avec par exemple la franche réussite de la Corée du Sud.
L’influence sur les échanges mondiaux dans l’habillement est palpable. Les importations en Occident en provenance des pays en voie de développement prennent tout d’abord une part minoritaire des échanges internationaux de la filière textile hors matières premières. Au fil des ans, elles en deviennent la principale composante.
En France nous faisons face et protégeons nos industriels. Nous signons des accords en marge du GATT et imposons des quotas d’importation. Nous investissons dans l’innovation textile, les fibres, les tissages, les techniques de production, l’organisation etc. D’ailleurs l’innovation technologique crée une seconde révolution industrielle dans la filière. Celle-ci emploie alors de moins en moins de main-d’œuvre, à l’exception des opérations de montage et couture en confection.
L’arrivée de la grande distribution
Dès les années 1960, la mondialisation du secteur de l’habillement se déroule dans des circonstances qui voient les acteurs de la filière combattre pour contrôler la production et les marchés. La mondialisation de l’offre est en action. Les années passent et les acteurs se distinguent au gré des innovations technologiques, des nouveautés produits et des avancées dans la gestion des organisations.
Dans les années 1970, la grande distribution commence à se développer et prend son envol dans les années 1980. Cette période est marquée par le dynamisme et l’ardeur des échanges internationaux. Leur libéralisation semble irrésistible. Des échanges importants se développent entre les pays européens avec notamment le Maroc, la Tunisie et la Turquie. En France, les mesures protectionnistes dans le cadre des accords bilatéraux sont toujours actives. Les quotas et droits de douane protègent les ateliers et industries textiles.
1980-1990 : changement de cadre et dérégulation
Un nouveau cadre
L’arrivée de la Chine sur le marché mondial, dans les années 1990, crée une concurrence qui provoque l’avènement de pratiques nouvelles pour répondre à un besoin d’efficacité commerciale. En matière textile, le contexte européen et occidental est caractérisé par le même protectionnisme qui impose des barrières de tarifs et de quotas.
Après la chute du mur de Berlin, les industriels constatent la puissance du désir de consommer et de libéraliser les échanges. Des accords sont alors conclus dans le cadre du GATT destinés à lever totalement les obstacles non tarifaires aux échanges : les quotas. L’OMC succède au GATT. En 1995 les Accords sur le Textile et les Vêtements sont signés. La date du 1er janvier 2005 est décidée pour réaliser la libéralisation les échanges.
Les années 1980 et 1990 sont le théâtre d’une bataille sur l’organisation de la filière, entre les industriels et les distributeurs, pendant que la Chine s’apprête à modifier les rapports de forces.
La délocalisation
Dès le début des années 2000, la mondialisation de l’offre entre dans une phase aiguë et entraîne l’accélération du déménagement des outils de production vers des pays qui offrent des conditions économiques et de travail avantageuses. Une délocalisation massive de la production française et plus largement européenne se met en place. Des acteurs s’organisent pour conserver leur activité en France métropolitaine. Ils sont peu nombreux à prendre le chemin de la restructuration.
L’observation a posteriori montre que les effets positifs de la mondialisation concurrentielle ont été limités pour les acteurs français et européens. Ceux-ci ont vécu la part dramatique de la réduction de la concurrence. Ils ont subi des pertes d’activités importantes. De plus, les consommateurs européens n’ont pas pleinement profité de la baisse des prix. Paradoxalement, la réponse organisée en Europe a favorisé la création de monopoles qui ont pu consolider leur position au fur et à mesure.
2000-2010 : l’hégémonie chinoise
La stratégie gagnante de la Chine
La Chine adhère à l’OMC en 2001. Le géant du commerce mondial atteint son quota d'exportation dans l’habillement dès 2002. Dans les années qui suivent, elle augmente ses capacités de production dans ce secteur. Elle est la grande gagnante avec des coûts de fabrication parmi les plus bas au monde.
Le 1er janvier 2005, le système des quotas disparaît. Celui-ci régulait depuis de nombreuses années les importations et exportations de textiles à travers le monde. L’habillement devient ainsi le premier domaine à être libéralisé sur le marché mondial. En quelques mois, la filière européenne est en grande souffrance dans un système de mondialisation de l’offre qui n’est pourtant pas nouveau.
En voulant profiter de la mondialisation, les acteurs économiques du textile français et européens ont délocalisé la production avec l’innovation technologique. La Chine, et d’autres pays en voie de développement, ont massivement investi dans la filière pour avoir la capacité d’offrir une large gamme de produits et de services, surtout dans le moyen et le haut de gamme.
La situation en Europe
En France et en Europe, les professionnels de la filière de l’habillement ont perdu de l’influence. Les distributeurs achètent directement sur le marché mondial. La force des chaînes de distribution s’est accrue dans l’offre de vêtements depuis les années 2000. La libéralisation du marché des vêtements ne s’est pas concrétisée par une baisse des prix, contrairement à ce que prévoit la théorie libérale. Mais elle a permis l’émergence de situations profitables pour les acteurs de la distribution, confisquant une partie de la baisse des coûts d’achat à l’international. Les intérêts des pays en voie de développement, dont la Chine, ont rencontré ceux de la grande distribution avec pour résultat : l’élimination de pays concurrents et la création de profits.
Les niveaux de prix n’ont pas diminué en Europe alors que les publications de l’OMC attirent l’attention sur l’avantage décisif qu’apporte le libre-échange international : l’amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs.
En Europe, les prix des vêtements sont plutôt en hausse entre 2000 et 2006. En Italie et en Espagne, les prix ont nettement augmenté. En France, les prix sont restés plus ou moins stables. En Allemagne, les prix ont enregistré une baisse anecdotique dès 2003. Le seul pays à voir une forte baisse des prix est le Royaume-Uni. Pourtant, entre 2000 et 2004, les prix moyens à l’importation des vêtements chinois ont diminué de presque 20 % et cette tendance s’est accrue en 2005 avec une baisse de 14,5 % confirmée en 2006.
Si les prix d’achat diminuent et que les prix de vente sont pour le moins stables, c’est que la marge de la distribution augmente et que certaines grandes multinationales de la distribution de vêtements accumulent du capital.
Les intérêts de la grande distribution et des multinationales
Les professionnels de la grande distribution ont à leur tour emprunté les routes de la soie, avec dans leurs bagages des savoir-faire importants et complémentaires. En effet, la distribution repose sur la maîtrise de la logistique et de la commercialisation en réseau de magasins. Avec un investissement limité en stylisme et conception, les distributeurs ont acquis la capacité de se fournir sur le marché mondial.
Une activité de « cueilleur » s’est mise en place : la recherche permanente d’un fournisseur qui offre un meilleur tarif. Une compétition entre les zones de production voit alors le jour. La concurrence devient âpre entre les industriels de la filière des vêtements, où qu’ils se trouvent dans le monde. En France, de nombreux acteurs historiques du vêtement ont rapidement perdu des volumes d’affaires, des contrats, des clients, des emplois, des savoir-faire, jusqu'à la fermeture définitive pour beaucoup.
À partir des années 2000, les résultats des multinationales de la distribution s'envolent. Dividendes, accumulation de capital, bonifications sont grandement conditionnés par l’accroissement des marges liées aux importations à bas prix. En France, le taux de marge commerciale du commerce de l’habillement est plus élevé que la moyenne des autres activités commerciales, et croît à un rythme plus rapide que les autres commerces.
Dans les années qui ont suivi, la structure de la grande distribution en France et en Europe s’est consolidée par une puissance d’organisation. La concurrence par les prix a disparu ou presque. D'autres vecteurs de concurrence (mode, ouvertures de magasins, segmentation de marché) déclinent le modèle dominant.
La stratégie des acteurs de la distribution a consisté à conquérir des parts de marché par l’ouverture de points de vente. Soit sur un modèle de boutiques de surface importante, la segmentation étant réalisée au sein du magasin : mode homme / femme / enfant. Soit sur un modèle de diversification des enseignes. Ou bien encore sur l’usage de magasins propres, de corners, de franchises, d’affiliés, de licenciés etc.
Quelle stratégie adopter aujourd’hui ?
L’offensive chinoise continue
En 2021, nous sommes toujours dans la situation où les champions de la grande distribution captent les gains des échanges internationaux. La Chine a affermi sa position de force, en éliminant, avec plus ou moins de succès, la concurrence des pays européens et occidentaux tout comme des pays producteurs.
Un sujet d'inquiétude plane dans quelques bureaux européens à propos de la rente habillement : « Est-ce que la Chine est en mesure de commercialiser sa production en évitant les grands distributeurs européens ? ».
BOSIDENG est un exemple de marque chinoise réputée sur le marché international pour ses vêtements d’extérieurs de qualité, homme, femme et enfant. Fondée en 1976, BOSIDENG se concentre sur le développement, la conception et la production de doudounes. En 1993, BOSIDENG a ouvert sa première usine à l’étranger, en Russie, première étape de son expansion internationale. Les points de vente BOSIDENG se retrouvent dans les grandes villes du monde telles que New York, Tokyo, Paris, Vancouver… En 2012, BOSIDENG ouvre un magasin à Londres et installe son siège Europe au Royaume-Uni. En plus d’investir dans le développement de la confection, le groupe explore activement le développement à l’international. BOSIDENG mise sur le e-commerce, l’établissement de relations avec les magasins de luxe, le recrutement de créateurs de mode européens qui connaissent les goûts des clients.
La Chine « atelier du monde » est une organisation qui crée les conditions des déséquilibres. Les phénomènes de pénurie et de spéculation sont désormais possibles. Des déstabilisations peuvent naître sur le terrain de l’approvisionnement, comme nous avons pu le voir lors de la crise sanitaire, ou lors d’un incident maritime dans la Mer Rouge. Les conséquences peuvent être très lourdes.
Des déséquilibres lourds de conséquences
Cette situation est le fruit de la stratégie menée par certaines très grandes entreprises privées du textile, du vêtement et de la distribution. Elles ont appliqué avec brio leur politique sur une économie de marché de plus en plus libérée de toute règle de protection.
En ce qui concerne le textile et l’habillement, la mondialisation aujourd’hui est donc l’équilibre obtenu par de grandes entreprises multinationales sur la filière. Les organisations telles que l’OMC, le FMI, la Banque Mondiale n’ont ni le droit ni le pouvoir de s’opposer aux intérêts de ces multinationales alors même que leurs actions menacent l’intérêt général en créant des déséquilibres.
Des pays se montrent impuissants par absence de pouvoir ou de volonté politique. L’UE joue la surprise. Elle observe et guette une amélioration de la situation, mais reste parfois naïve face à une situation qui tourmente son idéologie d’ouverture et de libre-échange.
D’autres pays qui ont une vision de leur avenir et des objectifs de structure peuvent contenir la situation et se créer des avantages concurrentiels. Ainsi la Chine mobilise-t-elle des ressources considérables pour le développement de sa filière textile vêtement.
La réponse de la France
En France, la filière des textiles et vêtements a fait preuve de dynamisme et de volonté de maîtrise de son activité depuis les années 1950 jusqu'aux années 2000. Avec succès. Aujourd’hui nous subissons les effets de la mondialisation et témoignons de la réussite d’une poignée et d’un désastre économique et social pour beaucoup.
La France a été à l’origine d’innovations pour les fibres, les tissus, les produits. La création et le style français ont permis à la France de rayonner par la qualité et le choix. Nous avons inventé des techniques de production permettant d’augmenter les rendements en réduisant la pénibilité du travail.
Depuis les années 2000 et la convergence de la libéralisation des échanges, du développement de la distribution et de l’influence de la Chine, la situation a changé :
- L’innovation sur les produits tend à s’effacer au profit d’une mode superficielle comme unique façon de renouveler la consommation des pays riches.
- La diffusion des innovations importantes à l’échelle mondiale a atténué les avantages des coûts de main-d’œuvre dans les filatures et chez les tisserands.
- La restructuration du travail a favorisé une véritable mainmise sur la filière des textiles et vêtements par des pays organisés comme la Chine ou la Turquie.
De 1990 à 2020 l'industrie textile française a perdu 75% de ses emplois, passant de 400 000 à 100 000.
ANJELO tire les leçons de ces 30 ans de libéralisation du marché, et veut retrouver des savoir-faire, faire vivre la création française et créer des richesses dans nos départements.
Ce n'est pas tout, ANJELO se préoccupe aussi de l’impact global de l’utilisation des ressources et des modes de consommation. Satisfaire ses besoins élémentaires, y compris se vêtir et soigner son apparence, ne doit pas mener au gaspillage de ressources rares dans un monde fini.
avec ANJELO
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Sources bibliographiques
Revue de l’OFCE 2007/4 N°103 « La mondialisation contre la concurrence dans le textile et l’habillement »
La revue de l’IRES 2005/1 N°47 « Les PME de la filière textile-habillement face à la mondialisation : entre restructurations et délocalisations »